Canens Africae

Canens Africae Chien-loup de Saarloos

Chien-loup de Saarloos

La réserve du Saarloos

De toutes les caractéristiques du Chien-Loup de Saarloos, son caractère réservé est une des plus remarquables.


Au même titre que sa robe ou ses allures, elle contribue à sa ressemblance à son cousin loup. 


Mais au-delà du mythe, qu’est-ce exactement que la réserve, et peut-on en donner une définition qui corresponde à l’ensemble des Saarloos ? Est-elle innée ou acquise et reste-t-elle stable tout au long de la vie du chien ? Enfin, quelles en sont les conséquences dans la vie quotidienne du chien et de son maître, et comment la gérer ?


 


Tentatives de définition


Comment définir la réserve du Saarloos ? Le nouveau standard de la race ne nous y aide pas. Il indique qu’«il peut se montrer réservé envers les étrangers et ne recherche généralement pas le contact. L’attitude réservée et semblable à celle du loup pour éviter les situations inconnues est typique du chien-loup de Saarloos». L’ancien standard était beaucoup plus précis «Envers les étrangers, il est réservé, passablement méfiant. Sa retenue, et, dans des situations inconnues, son instinct de fuite semblable à celui du loup sont typiques pour le chien-loup de Saarloos et devraient être maintenues comme particularités de la race. A l’approche d’un chien-loup de Saarloos, les étrangers devraient faire preuve d’une certaine compréhension envers le comportement de ce chien, pour sa réserve circonspecte et pour son instinct de fuite, particularités qu’il porte dans son patrimoine héréditaire». 


L’ancien standard associe à la réserve les vocables «méfiant, retenue, instinct de fuite, circonspect». 


Le Larousse lui définit la réserve comme la «qualité de quelqu’un, de son comportement, qui montre de la prudence, de la discrétion».


Prudence, discrétion, méfiance, retenue, circonspection, fuite, sont autant de termes qui dessinent un trait de caractère commun à tous les Saarloos, mais dont l’expression varie en qualité et en intensité selon les individus, les sexes, et les âges des chiens.


Par ailleurs, l’ancien standard précise bien que ce trait de caractère est chez le chien-loups de Saarloos d’origine génétique, qu’il est sélectionné dans la race (au même titre que le sont les yeux clairs, la couleur du loup, ou les allures) et qu’il devrait y être conservé (« maintenu »). Il n’apparait pas chez le chiot à cause d’une mauvaise socialisation, ou de mauvais traitement chez son maître, comme le pensent aujourd’hui de trop nombreux comportementalistes qui méconnaissent la race.


 


Expression de la réserve


Pour schématiser, on pourrait dire que la réserve se définit par la méfiance du chien envers l’inconnu, plus particulièrement envers l’inconnu « humain », et que son expression varie en qualité et en intensité selon les individus. 


On peut dégager de grandes lignes de conduite en fonction de deux critères :



  • Le sexe tout d’abord. En règle générale, les femelles sont beaucoup plus réservées que les mâles. Cette différence est probablement d’origine hormonale : dans toutes les races de chiens, les mâles ont un caractère plus marqué que celui des femelles, à cause de la testostérone, qui les pousse à protéger leur meute et leur territoire, et à défier les autres mâles. Pour les races molossoïdes, ou de défense ou d’attaque, les mâles sont pour cette raison souvent plus « difficiles » que les femelles. C’est l’inverse chez le Saarloos, chez qui la réserve contrebalance l’effet des hormones. C’est la raison pour laquelle un poncif de la race est qu’il est plus facile de commencer avec un mâle qu’avec une femelle, qui nécessitera généralement (il y a de nombreuses exceptions) plus d’expérience, de travail, et de patience.

  • L’âge ensuite. La réserve apparait chez le chiot entre l’âge de deux et trois mois (il arrive parfois qu’on la pressente encore plus tôt chez certains chiots, qui, avant même d’ouvrir les yeux, présentent des signes de stress lorsqu’on les manipule, mais c’est très rare.) L’apparition de la réserve chez le chiot se caractérise par un recul soudain devant un inconnu (ou parfois une personne connue mais pas présente quotidiennement), alors que la veille ce recul n’était pas là. Une fois que cette réserve apparait, elle ne fait que s’accroitre jusque vers l’âge de deux ans environ, puis tend à décroitre jusqu’à la mort du chien. Ce phénomène de croissance/décroissance est beaucoup plus visible chez les femelles que chez les mâles, et il n’est pas rare de voir des femelles âgées de deux ans complètement paniquées devant un homme inconnu et incapables de se ressaisir, devenir de véritables caniches à l’âge de neuf ou dix ans. Chez les mâles, le phénomène est présent mais beaucoup moins intense. Cette différence est probablement aussi de nature hormonale, et sert l’évolution, une femelle dans la force de l’âge devant être en mesure de fuir le danger pour survivre et s’occuper de ses bébés, alors qu’un mâle devra l’affronter pour protéger sa meute tout au long de sa vie. 



NB : Il est bien entendu que ces deux critères que sont l’âge et le sexe du chien sont des indicateurs mais pas des règles absolues, indicateurs qui varient selon les individus.


 


Génétique et sélection


Comme nous l’avons vu, la réserve est d’origine génétique, et à ce titre s’exprime de manière plus ou moins marquée selon les lignées. Certaines lignées en sont pratiquement dépourvues. Chez les individus qui en sont issus, la réserve se borne à un léger recul devant un étranger menaçant. Les chiens se montrent très sociables avec tout le monde, cherchent la caresse auprès de n’importe quel inconnu, bref se comportent (presque) comme un chien lambda. 


D’autres lignées son plus « difficiles », et par exemple nombre de chiens issus du magnifique Skog av. Seppalaska montrent un caractère très réservé. Il y a une dizaine d’années, on pouvait voir sur les rings des expositions de beauté certains chiens en panique totale, incapables de marcher correctement à cause de leur incapacité à gérer le stress de la situation (aujourd’hui, ce type de comportement extrême a quasiment disparu, heureusement pour les chiens…)


A contrario, j’ai eu l’occasion d’assister en 2015 à la Nationale d’Elevage d’un des clubs de race Hollandais (Nederlandse Vereniging van Saarlooswolfhonden), et j’ai été frappé de constater à quel point la réserve était quasi ou complètement absente chez nombre d’individus, du même coups hélas (à mon avis en tout cas) que le charme et la magie qui entourent la race… Et c’est bien la difficulté à laquelle se confronte le club de race (ABNF), qui par l’intermédiaire de la commission d’élevage, est en charge de faire passer les tests de caractère aux chiens. 


Le test de caractère valorise chez le Saarloos une attitude méfiante mais sans excès, un retrait vis-à-vis d’un étranger (le testeur, la foule) ou de stimuli visuels ou auditifs (ouverture d’un parapluie, marche sur une bâche, pouët-pouët), mais sans panique.


Ce que recherche la commission à travers ce test, c’est à conserver cette caractéristique du chien-loup de Saarloos, qui est un trait remarquable de la race, tout en la gardant dans des dimensions acceptables, pour qu’elle ne devienne pas un handicap pour le chien. Par-dessus tout, on recherche cette capacité présente chez le chien équilibré à surmonter son premier mouvement de panique et à récupérer rapidement ses moyens. On valorise en somme sa capacité à gérer ses émotions. 


A l’inverse, un chien trop sociable sera pénalisé, car dans une optique d’élevage, il n’est pas souhaitable de voir disparaitre cette caractéristique de la race. Quant aux chiens agressifs, ils seront disqualifiés, car un Saarloos ne doit jamais mordre ou agresser un humain. 


 


Pour un éleveur, il est difficile de prédire en fonction des mariages le caractère des chiots, les combinaisons génétiques étant infinies. Et par ailleurs, on ignore encore si ce trait spécifique est polygénique ou non. Cependant, il est certain qu’en mariant deux chiens très réservés, les risques pour que la portée hérite de cette caractéristique sont très élevés, quels que soient les efforts de socialisation développés par l’éleveur puis par les maîtres. Il est donc intéressant quand cela est possible de marier à des chiens « difficiles » des chiens beaucoup plus sociables. Les portées qui naissent de ces mariages sont souvent très intéressantes, car les chiots peuvent présenter tout le spectre des caractères, avec une grosse majorité vers une réserve médiane. 


 


Les composantes acquises de la réserve


Si elle est de nature génétique, peut-on influer, en tant qu’éleveur ou en tant que maitre, sur cette réserve ?


En tant qu’éleveur, la réponse est clairement oui. En manipulant les chiots depuis le plus jeune âge, en les faisant rencontrer de nombreuses personnes, adultes et enfants, on contribue à désensibiliser le chiot à la présence humaine. Mais c’est surtout en laissant les bébés avec leur mère le plus longtemps possible (et au minimum jusqu’à l’âge de 11 semaines quand cela se peut) que le travail de l’éleveur est le plus important. En effet, Il permet ainsi au chiot d’acquérir une autonomie et une confiance en lui qui lui permettra par la suite de gérer ses émotions et de contenir sa peur dans des proportions acceptables. Un chiot séparé trop tôt de sa mère (huit semaines et moins) aura des difficultés à atteindre une maturité émotionnelle, et verra sa réserve naturelle se transformer en psychose chez les individus les plus atteints. Heureusement, la séparation prématurée d’avec la mère tend à disparaitre, et la plupart des éleveurs ont maintenant adopté l’âge de 11 à 13 semaines pour laisser partir les chiots. 


Quant au maître d’un Saarloos, il peut bien sûr aider son chiot à apprivoiser sa réserve en lui permettant de connaitre un maximum d’expériences non traumatisantes de rencontres humaines, canines et autres. Pour ce faire, l’inscription à une école du chiot digne de ce nom reste la meilleure solution. Mais il ne doit pas se tromper d’objectif : le but n’est pas de faire disparaitre le caractère réservé de son chiot. Le but est de lui enseigner à gérer ses émotions, de lui donner suffisamment de confiance en lui pour lui permettre de surmonter rapidement sa peur, et de ne pas la laisser se transformer en panique. 


 


Gérer la réserve au quotidien


Vivre au quotidien avec un chien très réservé n’est pas toujours simple. 


Si l’éleveur et le maître ont joué leur partition, le potentiel génétique de la réserve du chiot s’exprimera de manière pondérée. 


Quelques règles simples permettront au chien et à sa famille de vivre au mieux avec cette particularité. 


Tout d’abord, le maître mot est respect. Il est important que chacun comprenne, au sein de la famille ET à l’extérieur, que ce trait est une constituante intrinsèque du caractère du chien, et qu’à ce titre elle doit être respectée. Il est entendu que quiconque n’apprécie pas ce caractère devra s’orienter vers une autre race. Mais il devrait aussi être entendu que lorsqu’on choisit un Saarloos, on se fait devoir de le protéger des étrangers trop intrusifs, et qu’on respecte sa sensibilité. 


Pour se faire, on veillera à la maison à toujours laisser au chien la possibilité de s’éclipser lors de visites d’inconnus. On lui permettra de sortir ou de se réfugier dans une autre pièce ou dans sa cage, et on veillera à ne pas autoriser de la part des visiteurs de


comportements intrusifs. 


Pour travailler la socialisation du chiot dans ces moments délicats, il faut éviter le stress d’une rencontre forcée, et utiliser au contraire l’autre ou un autre chien plus sociable de la maison, qui entrainera le chiot dans son sillage. En l’absence d’un autre chien sociable, l’ignorance est le meilleur outil : le chiot ne se sentant pas observé pourra laisser libre cours à sa curiosité. On n’oubliera pas bien sûr la récompense alimentaire, arme imparable en matière d’éducation Saarloosienne. 


Même technique pour le chien adulte, mais en ayant conscience cette fois que le travail de socialisation proprement dit est passé. Cependant, comme tout individu vivant, le Saarloos apprend à tout âge, et toute expérience, positive ou négative, créé ou renforce des connexions neuronales qui modifient petit-à-petit les schémas comportementaux. Il est donc important de continuer le travail d’éducation tout au long de la vie du chien.


A l’extérieur, et pour les raisons précédemment exposées, on veillera également à ne pas confronter le chiot ou l’adulte à des situations trop stressantes, en forçant le contact par exemple, ou en promenant le chien dans une foule dense alors qu’il est manifestement en panique. Ce genre de « dressage » est absolument contre-productif, et pourra conduire le chiot à développer une phobie sociale puissante. Quant à l’adulte, si le stress est trop fort, il peut partir en panique, et devenir ingérable, voire s’échapper en cassant sa laisse ou en faisant tomber son maître…


 


Conclusion


Tout est affaire de bon sens, et encore une fois de respect du caractère du chien. 


C’est peut-être la capacité à accepter, voire à rechercher, cette caractéristique qui déterminera un bon maître de Saarloos. 


Toute personne (et hélas, il y en a beaucoup) qui s’engage dans l’aventure en pensant changer le caractère réservé de son chiot en pratiquant une socialisation soutenue non seulement court à l’échec et présente 80% de risques d’abandonner son chien dans les deux ans, mais surtout passe totalement à côté de la race et des spécificités qui la rendent unique. 


Car plus encore que son physique lupoïde, sa réserve fait du Saarloos cet animal fantastique et unique, qui fait le bonheur de ses admirateurs. 


En effet, c’est bien ce trait qui marque la frontière entre le sauvage et le domestique, qui souligne le loup dans le chien, et sur lequel vient se dessiner cette ligne qui sépare les amateurs de Saarloos de ses nombreux détracteurs, qui ne voient dans cette race qu’une régression de l’emprise humaine sur le sauvage et feignent d’ignorer l’élégante allégorie d’une nature indomptée qui ressurgit où on ne l’attend pas.